25 Sep 2011

La révélation (1/2)

Publié à 12h00 par , , et sous Magie et illusionnisme

Première escapade de l’autre côté du miroir aux alouettes, sur la piste des petits secrets des grands illusionnistes. Renforçons notre vigilance en tirant quelques précieux enseignements de la série des Breaking the Magician’s Code: Magic’s Biggest Secrets Finally Revealed.

On se demande bien ce qui se cache sous tant de maquillage (et aussi peu de vêtements)

Notre (brutale) introduction au monde de la magie nous est offerte par la petite vingtaine d’épisodes des Breaking the Magician’s Code: Magic’s Biggest Secrets Finally Revealed (la série devant vraisemblablement concourir dans la catégorie des émissions au titre le plus long, nous écrirons désormais MBSFR pour simplifier). Tour après tour, le programme décortique minutieusement les entourloupes qui se cachent derrière quelques grands classiques de l’illusion, ainsi que d’autres performances plus spécifiques aux pointures de la profession des années 90 et 2000. David Copperfield, David Blaine et autres Criss Angel n’ont pas dû beaucoup apprécier…

(La série semble largement puiser dans les livres d’un certain Herbert L. Becker, qui s’est justement mis à dos notre bon Copperfield ; nous noterons cependant avec bonheur qu’après de longues disputes judiciaires, si l’on en croit Wikipédia, Becker et le fameux magicien volant sont finalement devenus de très bons amis !)

1. Objet de la série : exposer les secrets sans dénaturer la beauté

“The secret is a small part of it. The real magic is in the performance”

The Masked Magician (saison 1 épisode 4 des Magic’s Biggest Secrets)

C’est sur ces mots que le “magicien masqué” qui réalise les tours et en dévoile les techniques révèle l’objet de sa démarche à la fin du dernier épisode de la saison 1. Juste avant de tomber son masque de catcheur mexicain bouffi, Val Valentino explique qu’il voulait redonner au public la passion de la magie, et refaire parler de cet art dans les cours d’école, autour des machines à café ou au salon de coiffure de madame. Au lieu de nous heurter, affirme-t-il, la découverte de quelques vieux secrets peut au contraire développer notre amour pour la magie, nous donnant la sensation de faire partie de ce monde mystérieux, d’en devenir des initiés. Or ce n’est pas la connaissance des trucs qui fait la grandeur du magicien, mais sa maîtrise de la performance et sa capacité à jouer avec nos émotions, ce que les Anglo-Saxons ont la chance de pouvoir signifier par un mot : “showmanship”. Accessoirement, l’illusionniste mettait ainsi une sacrée pression sur ses collègues pour encourager le milieu (volontiers conservateur) à se surpasser et inventer des tours nouveaux et plus excitants (ce qui peut aussi paraître légèrement paradoxal, quand on raconte dans le même temps que les tours reposent toujours sur les mêmes arnaques…).


Au bal masqué ohé ohé

Mais bon, si la beauté est dans le geste, c’est quand même la capacité à faire illusion qui nous importe ici. Une mise en garde s’impose cependant : loin de nous l’idée de décrire en détail les ressorts des tours de magie. Comme le mentionne le titre à rallonge de l’émission, il existe chez les magiciens un code non écrit encadrant les conditions auxquelles on peut révéler ses techniques ; en dévoilant les trucs du métier au grand public, on s’expose à l’ire de ses collègues, à l’exclusion de la communauté, au découpage de sa copine en deux et à la disparition de sa maison dans un nuage de fumée. Et puis c’est un grand œuvre déjà largement amorcé ailleurs (par exemple… ici). Nous ne nous intéresserons pour notre part qu’aux lois et règles générales de l’illusion, ainsi qu’à la philosophie et l’état d’esprit d’un magicien-décrypteur de tours. La question que se pose Maître Lupin est la suivante : quelle est l’approche à adopter pour aborder un tour ou un spectacle, si l’on souhaite en comprendre les trucs ?

Pour commencer, Dr Igor, toi qui puises joyeusement à toutes les sources d’information, parle-nous donc de la série MBSFR en elle-même.

2. Contenu : maîtrise technique et américanisme exacerbé

La série originale comportait 4 épisodes d’environ 45 minutes, diffusés sur le réseau Fox de la fin 1997 à la fin 1998. En 2002, un cinquième épisode permettait à un nouveau magicien masqué de s’illustrer (vous noterez avec intérêt que ce dernier, qui ne révéla pas son identité au cours de l’émission, avait opté pour un masque plus proche du style du fameux Fantôme de l’Opéra). Enfin, 10 ans après la première diffusion, une nouvelle saison de 13 épisodes apparut sur les écrans fin 2008-début 2009 (bonne nouvelle : le masque de luchador est de retour, mais est-il toujours porté par le même lutteur ?). En fouinant bien sur le Net, on trouve aussi la trace d’un autre épisode portant exclusivement sur le street magic (type de magie pratiqué au détour des rues, avec les passants, les clochards, les pigeons et les rats).

Le format reste généralement inchangé d’un épisode à l’autre : d’abord le tour est montré (ce qu’on appelle l’ “effet”), ensuite sont résumées les grandes étapes de ce qui a été vu par le spectateur (pour ceux qui auraient dormi), puis tout le déroulement de l’illusion côté magicien est décrit en détail et avec précision. Les descriptions sont tellement claires, et les manipulations filmées sous tellement d’angles, qu’il faut vraiment le vouloir pour ne pas tout comprendre. Ou alors avoir prolongé sa nuit pendant l’explication.

Le rythme des MBSFR, plutôt lent et pour le moins répétitif (pour que tout le monde puisse suivre, sauf les marmottes évidemment), fonctionne amplement sur la redite, autant que sur l’effet d’annonce “à suspense” (“up next, the secrets to… [whatever]” ) ; le programme est extrêmement haché, il bégaye. En clair, on sent tout à fait le découpage de programme télévisé états-unien, calibré pour être truffé de coupures publicitaires. Tout à fait américains, également, la voix rauque ou caverneuse de présentateurs ultra-testostéronés, l’humour (souvent macho) à deux dollars et le respect des quotas ethniques dans le choix des belles plantes aussi fièrement carrossées que les nombreux véhicules exhibés (quitte à faire disparaître une voiture, autant que ce soit un 4×4 ou un Hummer, n’est-il pas ?).


Comment faire apparaître deux plantureuses “divas” du catch américain
(indice : on aurait pu s’en douter, mais faut quand même plus d’une belle voiture…)

Ne boudons pas notre plaisir : l’émission est très didactique et techniquement réussie, maîtrisée de bout en bout (choix d’un sombre entrepôt désaffecté comme lieu de tournage, jeux de lumière cohérents, création d’une ambiance sonore mystérieuse…). La première saison est une formidable émission américaine des années 90, respirant ce positivisme outrancier propre au pays du capitalisme triomphant (“tout est possible”), esbroufe et démesure d’après la chute du Mur, en un âge crépusculaire de fin de règne. Quelques années à peine et le monde entier se retrouverait pris à témoin de la disparition de monuments encore plus imposants que la statue de la Liberté, au nez et à la barbe de manipulateurs en chef incapables de démasquer une poignée d’illusionnistes illuminés – qui n’auront pas raté leur tour…

Bon, Loki, tu peux remballer tes sarcasmes, et toi La Plume tes effets de manche.

Toujours est-il qu’une fois les sœurs jumelles venues à bout de leur tour de passe-passe 😉 , la série des MBSFR se fait plus violemment offensive. Finie la rigolade, dans un monde post-11-Septembre, on n’hésite plus à dévoiler franchement les secrets de ses petits camarades. En mode “ça leur fera les pieds, que ça leur serve de leçon, et qu’ils s’activent enfin à faire mieux !” Du vrai terrorisme artistique.

3. Règles de vigilance : exercer son regard

On déduit des MBSFR la principale loi de la magie : il ne se passe pas du tout face à nous ce que nous croyons, ou du moins ce que nous sommes supposés croire. Ce sera plus joliment dit dans l’une de ces chouettes formules anglaises, merveilles de compacité : there is much more to it than meets the eye (or ear, for that matter). Enfin, pas forcément “more”, justement : il peut se passer plus, moins, ou tout simplement bien autre chose que ce que l’on s’imagine.

S’il y avait quelques règles de vigilance à retenir, sur la base des froides observations de notre Mario le Martien :

  • Refuser de croire ce que l’on n’a même pas sous les yeux (d’où l’on déduit accessoirement que disséquer des tours de magie sur un écran de télévision ou d’ordinateur présente un intérêt assez limité).
  • Ne pas sous-estimer ce que les magiciens sont capables de faire pour créer un effet mémorable. Ils iront loin pour vous convaincre de leurs pouvoirs (truquer les objets les plus improbables, recourir à des individus “hors normes”…). Ils n’hésiteront pas à se plier en quatre – très littéralement. Notez à ce titre que vous serez sans doute étonnés par la capacité des assistantes à se contorsionner pour se dissimuler dans des espaces très confinés. Vous ne regarderez plus jamais vos valises de la même manière.
  • Toujours supposer qu’il existe des mécanismes truqués, ou bien des espaces, objets ou personnes cachés (souvent dès le début d’un tour). Dans le cas des grandes illusions, surtout, il faut bien garder en tête que les tours sont des performances complexes, qui requièrent l’assistance de nombreux artistes et techniciens. Derrière les prestations d’un David Copperfield (au hasard), il faut voir le véritable travail d’équipe réalisé par une kyrielle de danseuses, de doublures, d’ingénieurs et de complices. Le showman tient l’affiche, mais il est parfois très loin d’assurer l’essentiel du boulot !
  • Il y a généralement plus d’une manière de réaliser une illusion, surtout s’il s’agit d’un grand classique (disparition, évasion, femme sciée en deux, etc.). Comme dans un bon jeu vidéo d’aventure, il y a donc plusieurs façons de venir à bout des “énigmes” posées par ces astucieux magiciens.

Ok, c’est bien beau d’être vigilant, mais comment décoder tous les trucs, maintenant ? Quelques techniques vous seront dévoilées dans notre prochain épisode de révélation

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