12 Oct 2012

Le Prestige (…iditateur)

Publié à 23h01 par et sous Magie et illusionnisme, Sorties et divertissement

Le regard que porte le cinéma sur la magie peut-il contribuer à nous armer contre les manipulations et développer notre esprit critique ? Nous pouvons toujours essayer de voir quelques films bien choisis et d’en produire notre propre critique, déjà ! Premier conseil de visionnage : l’excellent Prestige de Christopher Nolan. Meilleur film sur l’illusionnisme, merveilleux hommage à ses artisans, il aborde efficacement les questions de manipulation et de duplicité.

Ouvrez bien les paupières, pendant le film ! Mais vous comprendrez rien avant la fin, de toute façon

“Any sufficiently advanced technology is indistinguishable from magic”

[Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie]

Troisième loi d’Arthur C. Clarke,  formulée dans Profiles of the Future (1973)

Depuis son origine, le cinéma entretient des liens puissants avec le monde de l’illusionnisme. L’I-M-A-G-E n’est jamais très loin de la M-A-G-I-E.

Pourtant, curieusement, le 7e art nous a offert très peu de grands rôles d’illusionnistes, et très peu de grands films sur la prestidigitation (car il va sans dire que les histoires de petits sorciers ne comptent pas !). Et parmi les rares longs métrages traitant de ce thème, tous n’ont même pas été reconnus à leur juste valeur.

Nous souhaitons recenser les films s’étant penchés sur la pratique magique, ne serait-ce que pour découvrir ce qu’ils y ont décelé de suffisamment universel pour en tirer des histoires édifiantes. Lorsqu’en un vendredi soir morose, seul avec vous-même, vous vous demanderez comment occuper intelligemment votre temps sans qu’il ne vous en coûte trop intellectuellement, vous saurez où trouver d’utiles recommandations. Et si, au passage, nous pouvons réhabiliter quelque perle injustement négligée, nous nous estimerons tout à fait satisfaits 🙂 !

Critique cinéma du jour : Le Prestige, de Christopher Nolan.


Le Prestige : l’un de ces films qui valent mieux que leur bande-annonce

Le propos du film : la rivalité entre deux illusionnistes (interprétés par Hugh Jackman et Christian Bale), anciens partenaires, dont l’amitié tourne à la haine (plus féroce encore que dans La Guerre des Rose). Et les conséquences de leur acharnement à se surpasser l’un l’autre en vue de produire le tour de magie le plus extraordinaire. Des conséquences terribles pour leur entourage, mais aussi pour eux-mêmes.

L’ambiance : début 20e siècle, une période faste pour les spectacles d’illusion. Mais déjà s’annonce un changement d’époque : on sent les prémices de la disparition d’un mode de vie dominé par un rapport manuel et artisanal au monde, avec l’arrivée de la fée électricité et une tendance croissante à la mécanisation (or Christian Bale en sait quelque chose, du soulèvement des machines – ça l’avait même vachement énervé !). Le tout dans une Angleterre post-victorienne (en sus d’un fameux détour par le Colorado), avec ce que ça implique de costumes d’époque exubérants, de contrastes entre classes sociales et de brouillard propice à l’assassinat des filles de mauvaise vie.

Ce qui nous est révélé sur la magie : pas grand-chose de plus que ce que la mythologie populaire laisse entendre, ou ce que le bon sens permet de deviner (recours à des complices, à des doubles, à du matériel truqué, à des nœuds moins solides qu’il n’y paraît, etc.). A peine l’explication complète d’un tour avec un charmant petit oiseau – amoureux des bêtes s’abstenir.

On en connaît un qui va s'éclater

Ce qu’on a particulièrement apprécié :

  • La construction de l’histoire

Le film EST un tour de magie. Christopher Nolan, qui s’était fait remarquer par son jeu sur le formalisme narratif dans Memento (bien avant Inception), et ne savait pas quoi faire entre deux Batman, récupère la matière riche et complexe d’un roman de Christopher Priest pour nous régaler d’une illusion en trois temps, conformément au schéma classique : la Promesse propose une situation d’apparence normale, puis le Tour introduit un effet extraordinaire avant que le Prestige ne permette un retour rassurant au familier.

Au contraire de ces récits dont on peut prédire les grandes étapes dès les premières minutes, le scénario, pas linéaire pour un sou, nous entraîne dans ses multiples rebondissements. L’auteur ne nous épargne pas les fausses pistes et, dans le même temps, distille de nombreux indices qui ne prennent tout leur sens qu’à la fin.

Le film accumule les niveaux de lecture (on encourage sa vision répétée !) ; certaines répliques ne s’adressent pas tant aux personnages qu’au spectateur (à commencer par la première : “êtes-vous bien attentif ?”), certaines images et certaines scènes illustrent à échelle réduite les mécanismes qui sous-tendent la clé du récit, bref les éléments se répondent et renvoient aux grands thèmes de l’œuvre (on en reviendrait presque au principe hologrammatique d’Edgar Morin !).

Et le glissement progressif vers le fantastique et la science-fiction (tendance steampunk) est une expérience originale.

  • Les décors et costumes

Etant donné l’époque, nous ignorons s’il y a quoi que ce soit de réaliste dans la palette des couleurs utilisées, et dans ce choix de teintes plutôt vives, mais l’œil trouve de quoi être attiré – et charmé !

Est-ce qu'on est bien attentif ? Boh oui !

  • Les acteurs

Plus que tout, David Bowie dans le rôle de Nikola Tesla (notre idole, hein, c’est pas pour rien que l’un de nos avatars porte ce nom !) : pénétré de son personnage, affectant un léger accent, il impressionne par sa présence, et capture l’attention dès qu’il apparaît dans une scène. Les autres ne déméritent pas, notamment Christian Bale et Michal Caine (si revoir le second dans le rôle de l’assistant du premier vous rappelle quelque chose, c’est bien normal, dans le cadre d’un film sous la houlette de Nolan…) ; Scarlett Johansson hérite d’un personnage plus important qu’il n’y paraît, et puis on ne se plaint jamais d’apercevoir Piper Perabo.

A noter que le rôle de l’assistant de Tesla est interprété par Andy Serkis, qui devait être sacrément content d’apparaître enfin à l’écran, après avoir gesticulé en tous sens pour permettre l’animation en images de synthèse de Gollum ou King Kong !).

  • Les thèmes

Le double, la dualité et la duplicité (on pourrait s’amuser à dresser une liste de toutes les oppositions affichées dans le film, mais on vous laisse le faire), les apparences trompeuses (soyez prêts à réviser vos jugements sur le comportement des personnages), la manipulation (celle qu’exerce chacun des personnages sur les autres, mais aussi celle qu’exerce sur nous le réalisateur…).

Et, plus dérangeant, le thème du secret et du sacrifice qu’il impose. Le sacrifice personnel d’un artiste entièrement dévoué à son art, qui en vient à illustrer un principe de base de la magie, déjà présenté ici il y a un an : vous sous-estimez certainement ce que les illusionnistes sont capables de faire pour créer un effet mémorable.

Le Prestige du haut-de-forme

“Nothing is impossible, Mr. Angier. What you want is simply expensive.”

[Rien n’est impossible, Monsieur Angier. Ce que vous voulez est simplement hors de prix.]

Réplique de Nikola Tesla dans Le Prestige (2006)

Non, vraiment, vous avez pas idée.

 

Pour aller plus loin : la meilleure critique trouvée sur le film.

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