26 Nov 2012

Au nom de la liberté d’association (des malfaiteurs)

Publié à 23h33 par , et sous Croyances et dogmes, Scepticisme et zététique

Qui ne dit mot ne consent pas forcément : écouter avec attention ne signifie pas être d’accord. Pour autant, faut-il condamner l’intégralité de l’œuvre ou du travail de ceux dont nous rejetons les opinions ou les conclusions ? A l’inverse, devons-nous adhérer à tous les combats de ceux dont nous apprécions les analyses ou les méthodes ? Comprendre leur démarche nous oblige-t-il à suivre la logique de tous leurs raisonnements et valider la pertinence de leurs libres associations d’idées ? L’opinion de nos auteurs éclaire la manière dont nous réalisons actuellement des entretiens à venir.

On peut reprocher beaucoup de choses aux dirigeants des "Stazunis", et néanmoins décider de chercher d'autres moyens de le leur faire savoir

Comme annoncé précédemment, nous avons lancé une grande campagne d’entretiens avec des personnalités dont les idées, l’expérience ou les méthodes nous intéressent. Magiciens, mentalistes, hypnotiseurs ou chercheurs ont d’ores et déjà accepté de répondre à nos questions. Les contenus de nos échanges commenceront bientôt à apparaître, sous une forme restant à déterminer, étant données les contraintes logistiques (toutes les personnes interrogées n’habitent pas dans la même ville) autant que notre ignorance assumée de la façon dont les journalistes professionnels mènent leurs interrogatoires (le format questions-réponses est-il une retranscription presque exacte des phrases prononcées par l’intervieweur et son interviewé, ou le produit d’un exercice très artificiel de remise en forme des informations récoltées, dans un style qui se veuille plus vivant que le simple “puis M. X nous expliqua que […]” ?).

Sur ce blog, nous sommes tout à fait ouverts, en principe. Nous nous refusons à juger les gens a priori, ou même à rejeter les opinions qu’ils professent sans une étude un tant soit peu sérieuse. Nous ne croyons pas qu’il y ait de tabous – mais sommes néanmoins contraints par les lois de notre pays d’accueil (en l’occurrence, la France, avec sa conception particulière de la liberté d’expression).

Les personnes auxquelles nous souhaitons donner la parole ont attiré notre attention pour un ensemble de raisons que nous rendrons à chaque fois explicites (qualité de leur performance artistique, pertinence de leurs écrits, contenu de leurs recherches, etc.). Cependant, nous estimons que le fait de prendre le temps d’écouter quelqu’un et d’accuser réception de ce qu’il dit (un verbe anglais illustre bien notre idée : acknowledge), quand bien même cela revient inévitablement à témoigner de l’attention et d’une certaine forme de reconnaissance, ne signifie pas forcément que l’on adhère à l’ensemble des croyances, opinions, analyses ou actions de l’individu considéré.

Parfois, on se force un peu à écouter, alors qu'au fond...

La zététique, dans sa définition par Henri Broch d’ “art du doute”, correspond tout à fait à la démarche sceptique que nous respectons. Et pourtant nous ne suivons pas ceux qui se revendiquent sceptiques ou zététiciens dans la totalité de leurs combats. Nous ne nous sentons pas contraints par un quelconque “esprit de corps”, une “solidarité gouvernementale” ou autre “discipline de parti”. Nous n’avons prêté aucun serment d’allégeance, ni signé de pacte avec de mauvais petits diables. Comme nous ne faisons pas partie d’une organisation, nous n’avons pas d’organisation à défendre, ou de structure à faire survivre et prospérer contre vents et marées. Ce que nous défendons, c’est bien le doute lui-même. La méthode, donc.

Or d’aucuns ont entrepris, plus ou moins au nom du scepticisme, des luttes auxquelles nous ne souscrivons pas. L’une des raisons actuelles du dédain (si ce n’est pire…) du public pour la zététique tient à la façon dont certains de ses représentants auto-proclamés, en Icare ambitieux prenant le risque de se brûler les ailes, ont in fine “cramé” le nom de leur discipline aux yeux de l’opinion. Paul-Éric Blanrue, fondateur dans les années 90 du “Cercle zététique”, est présenté depuis la sortie de son livre Sarkozy, Israël et les juifs comme un révisionniste antisémite proche de l’extrême-droite (voir par exemple un article du fameux Morice d’Agoravox). De fait, si l’association a été dissoute en 2005, son site, toujours accessible en ligne, affiche aujourd’hui encore en page principale la vidéo d’un entretien avec Robert Faurisson, négationniste notoire.

On ne voit pas du tout le lien entre la zététique (la FAQ du Cercle zététique précise bien que son équipe a “volontairement restreint son terrain d’études au paranormal et aux phénomènes réputés mystérieux”), les thèses de Faurisson ou même l’abrogation de la loi Gayssot, n’empêche que le mal est fait : on accole vite à Paul-Éric Blanrue et, partant, par une généralisation aveugle, à d’autres promoteurs de la zététique résolus à user de leur esprit critique (dont par exemple Jean Bricmont), une collection de termes non-OK, tellement chargés de connotations négatives, qu’ils disqualifient automatiquement ceux qui s’en voient affubler (“révisionniste”, “négationniste”, “antisémite”, “extrême-droite” – voir le grand sac dans lequel on jette indifféremment un Le Pen, un Faurisson ou un Dieudonné, quitte à y perdre toute capacité à juger rationnellement des dits et des actes des uns et des autres).


Attention au Faurisson : qui s’y frotte s’y pique !

C’est d’autant plus agaçant que des penseurs développant une logique démonstrative particulièrement puissante se retrouvent étiquetés “infréquentables” en raison de leur soutien à d’autres “infréquentables”, soutien qui s’explique pourtant par des arguments que les étiqueteurs se gardent bien de faire l’effort de souligner (quand un Noam Chomsky défend la liberté d’expression d’un auteur qualifié de “révisionniste”, c’est au nom d’une conception états-unienne de la liberté d’expression, non limitée par la loi Gayssot).

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas pour nous de contester ici les accusations lancées à la face des uns ou des autres, mais de déplorer l’enlisement des débats dans des guerres de tranchées, dont personne ne sortira gagnant, et dont la défense de l’esprit critique apparaît souvent comme une victime collatérale. Nous reviendrons peut-être un jour sur le contenu des thèses des uns et des autres ; pour l’heure, ce qui nous importe, c’est de souligner la façon dont des généralisations et des associations d’idées trop rapides viennent obscurcir notre compréhension des questions en jeu et nous pousser à des jugements hâtifs quand il faudrait au contraire savoir séparer les problèmes et distinguer précisément la multitude de leurs facettes (dans les limites permises par la nature complexe des phénomènes, bien sûr). En clair : nous regrettons que tant de discussions se perdent en attaques ad hominem ou en contestations de principe.

Nous repensions à l’image négative des sceptiques en tombant sur les nombreuses interventions de membres de l’Association française pour l’information scientifique (AFIS) dans le débat sur les OGM, en particulier au moment de la publication de l’étude très médiatisée de Gilles-Éric Séralini sur les rats boursouflés. L’AFIS est bien connue pour sa position anti-anti-OGM – d’autres diront carrément “pro-OGM”, et c’est bien la question : anti-anti, ou pro ? Dans tous les cas, l’AFIS ne marque pas beaucoup de points auprès des esprits les plus critiques des dérives technologiques. De même, il est d’autres sites vers lesquels nous vous avons renvoyés qui nous semblent bien mal communiquer en direction de leurs détracteurs : nous-mêmes trouvons que Conspiracy Watch n’explicite pas toujours clairement sur quelle base certaines thèses se trouvent vite qualifiées de “conspirationnistes”.

C'est qui qui veut jouer à la roulette russe ?

Soulignons-le encore : ce qui nous fâche terriblement, c’est que, par des associations hasardeuses, on en vienne à condamner irrémédiablement un homme, une organisation ou une démarche en raison d’un désaccord frontal sur un ou plusieurs points, ou juste d’un manque de rigueur ou de discipline dans l’application de méthodes ou le respect de principes affichés.

Notre position, sur ce blog, notre croyance, c’est qu’il faut séparer les différentes composantes d’une personnalité ou d’un travail, et se garder des jugements généraux ou globalisants. Plutôt que de juger en bloc, de condamner le tout pour la faute d’une partie, nous préférons descendre au niveau des parties, et considérer ce qu’il peut y avoir à sauver à ce niveau-là.

Un débat classique anime par exemple les critiques littéraires : peut-on apprécier l’œuvre d’un Céline sans épouser ses thèses réactionnaires ou antisémites ? Sur ce blog, pour ce blog, nous répondons/décidons que oui : il y a tout un tas de composantes que nous pouvons considérer (les figures de style, le rythme, etc.), parce qu’elles sont indépendantes des opinions politiques de l’auteur, et parce que comprendre et reconnaître n’est pas accepter ou valider (au demeurant, La Plume n’a pas du tout accroché à Voyage au bout de la nuit, la dernière fois qu’il a ouvert le bouquin, s’avouant finalement incapable d’en achever la lecture – mais il se déclare disposé à retenter l’expérience un jour ou l’autre !).

Où voulions-nous en venir ? Voici : ni vous ni nous ne serons forcément en accord avec tout ce que les personnes interrogées exprimeront. C’est l’écueil au-devant duquel nous savons que nous nous élançons vaillamment, en choisissant de donner la parole à d’autres. C’est quelque chose que nous voulions tenter, malgré les limites de l’exercice. Nous vous prions donc de bien retenir que nous-mêmes ne suivons pas nécessairement les “liaisons dangereuses” établies entre les idées de nos intervenants. Vous n’êtes donc pas forcés d’accepter la logique des relations qu’ils tissent eux-mêmes entre leurs croyances, opinions ou activités. Bref : vous n’êtes pas obligés d’adhérer à toutes les associations 😉 !


Le visionnage de vieux sketches de Dieudonné expose-t-il nécessairement le spectateur aux accusations d’antisémitisme ?

Conclusion

Dans nos entretiens :

  • Nous poserons les questions qui nous intéressent et, si rien d’illégal n’est énoncé, nous laisserons les personnes interrogées s’exprimer librement. A vous d’exercer votre esprit critique pour faire le tri entre les idées. En particulier, ne négligez pas la propension des gens au mensonge : dans le tas, nous interrogerons des magiciens et des mentalistes, dont c’est bien le métier de savoir vous induire en erreur ! Bref, il n’y aura vraisemblablement pas de censure, mais sachez quand même que les articles basés sur nos entretiens seront relus avant publication par les personnes interrogées. Si de trop nombreux changements nous sont demandés, si nous ne retrouvons finalement pas l’esprit de l’entretien, nous pourrons être amenés à décider d’annuler complètement la publication. De même si l’auto-promotion est trop lourde.
  • En revanche, nous n’accorderons pas beaucoup d’intérêt aux sujets qui n’ont pas directement trait aux thèmes abordés sur ce blog. Nous ne nous sentons pas responsables de ce que font les interviewés en dehors du cadre de l’entretien : si l’un d’entre eux se révèle avoir égorgé le chihuahua d’une vieille dame, tant pis, nous sommes quand même prêts à l’écouter nous parler de magie (ne serait-ce que pour qu’il trouve la rédemption dans une activité constructive !). Si vous tenez l’individu en horreur, soit, ne lisez pas l’interview – mais soyez honnêtes avec vous-mêmes, et demandez-vous franchement ce que vous détestez chez cette personne, et pourquoi. Ce que les gens auront fait (ou dit) par ailleurs, ce qu’ils font actuellement ou feront dans le futur ne nous intéresse pas a priori. (Note : comme vous vous en doutez, nous insistons sur ce point pour ne pas nous retrouver accusés, dans 10 ans, d’avoir donné la parole à un “horrible égorgeur de chihuahuas”, accusation qui suffirait malheureusement à nous voir exclus de nombreux cénacles, alors que, pour nous, ce n’est pas vraiment la question…).

Quant à nos conseils pour continuer à user finement de votre esprit critique, voici :

  • Face à ceux qui affirment des idées : apprendre à distinguer croyances (axiomes plus ou moins questionnés), observations (faits bruts, informations objectives, non discutables), interprétations (analyses faisant intervenir des opinions ou jugements) et recommandations (prescriptions fondées ou non sur des analyses), et savoir faire la part de chacune. C’est ce que nous avons souhaité faire sur ce blog : idéalement, Igor et Mario n’énoncent que des vérités objectives ; Lupin, Tesla et Hannibal, eux, émettent des opinions critiquables (alors allez-y, ne vous gênez pas !).
  • Face à ceux qui affirment utiliser une méthode : essayer d’en jauger la validité et surtout vérifier la réalité de son application ; en particulier, deux critères nous paraissent indispensables à respecter : la réflexivité (l’auteur applique-t-il ses méthodes à lui-même ?) et la constance (l’auteur applique-t-il bien la méthode à tous les domaines et toutes les questions auxquels il s’intéresse ?).

Notons encore que tout ceci vaut évidemment pour ce blog : si vous repérez un manquement à notre ligne éditoriale ou une confusion entre observation (Igor ou Mario) et opinion (Lupin, Tesla, Hannibal, Loki ou La Plume), faites-nous en part.

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