13 Déc 2011

Déclinez votre identité

Publié à 16h05 par et sous Psychologie, Représentations et modèles, Scepticisme et zététique

Où l’on prend acte d’une façon originale de résoudre ses problèmes d’identité, en doutant de l’unité de sa personnalité. Attention, les idées extravagantes présentées ici, ainsi que la manière de les appliquer, restent entièrement soumises à la sagacité du lecteur. L’esprit critique en éveil, nul besoin d’accepter nos recommandations pour apprécier le voyage et l’exposé !

Pourquoi tous ces livres de développement personnel n’ont-ils aucun effet sur nous ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à nous appliquer tous ces conseils pour changer ? Pourquoi ne nous améliorons-nous pas ?

Peut-être parce que les auteurs des textes nous encourageant à nous amender ne font qu’expliquer ce qui a marché pour eux, c’est-à-dire ce qu’il leur a fallu à eux pour évoluer. Or rien n’indique a priori que nous nous trouvions initialement dans une situation similaire. Peut-être n’avons-nous pas les mêmes limitations que les vieilles “enveloppes” dont nos auteurs-papillons se sont libérés. Ou peut-être n’est-il tout simplement pas si facile de réformer sa personnalité, de modifier son caractère de fond en comble, de se débarrasser de ses mauvaises habitudes.

Peut-être que les traits de caractère que nous souhaitons développer sont incompatibles avec la vision que nous avons de nous-mêmes. Par exemple, si je me sais perfectionniste, que je n’accepte de m’engager que sur du travail de qualité, jamais sur de la quantité, à quoi bon me répéter que la loi de Pareto m’invite à me concentrer sur les 20% de nos actions qui conduisent à 80% des résultats attendus ? Ce n’est pas “moi”, ça.

Mais qui est “moi” ?

1. Pour muscler votre caractère, faites des alters

Le jeu des 13 différences (parce qu'on va quand même pas compter les lunettes, c'est trop facile !)

Capitaine Hannibal ne se pose pas de questions commençant par “pourquoi” ; il ne s’intéresse qu’au “comment”. Il reformule ainsi nos interrogations premières : comment appliquer les conseils que l’on nous donne pour tenter de dépasser nos propres limitations, indépendamment de qui nous “sommes” ?

Nous souhaitons vous présenter aujourd’hui une solution originale. C’est une idée de Tesla, donc sans doute fanfaronne, mais elle joue suffisamment avec nos croyances (sur nous-mêmes) pour nous intéresser. C’est une stratégie que vous appliquez tout le temps, probablement sans vous en rendre compte. Une méthode qui permet d’abattre des limitations auto-imposées. Une façon de libérer des ressources cachées.

Il suffit de se doter de différentes identités, et de basculer de l’une à l’autre suivant le contexte et les objectifs du moment.

Supposez que vous ne soyez pas “un”, mais une sorte de galerie de personnages, une collection d’alter ego qui partagent un même corps et les ressources d’un même esprit. Chacun d’entre eux dispose d’un accès à différents moyens de perception, de jugement et d’expression. Il en use selon ses objectifs et ses désirs.

Si vous fonctionnez ainsi, inutile de vous faire violence pour réformer les comportements qui vous empêchent d’atteindre votre potentiel : au lieu d’avoir à changer de tout au tout de façon permanente, il vous suffit de vous glisser temporairement dans la peau de l’un ou l’autre de vos alias. Enfilez un costume adapté à la situation qui vous occupe, avec une casquette correspondant au contexte (même si associer costume et casquette n’est pas du meilleur effet, d’accord). Au lieu de torturer votre esprit pour le convaincre de vous libérer de toutes ces contraintes qui vous limitent, il vous suffit de lui demander une seule permission : pouvoir être une personne différente en fonction des circonstances, suivant votre bon vouloir.

Vous pouvez être cette machine ultra-productive au bureau, sans pour autant renier, dans le cadre de vos activités artistiques, votre goût pour la qualité, le souci du détail et l’amour du travail bien fait. Vous pouvez vous laisser manipuler par vos enfants, tout en étant ce négociateur intraitable vis-à-vis de vos clients hollandais. Vous pouvez être Peter Parker le jour, et Spiderman la nuit. Ou l’inverse. Et vice-versa.

S’autoriser à “être plusieurs personnes” ouvre un champ des possibles insoupçonné. On peut user de sa multiplicité pour :

  • gagner en efficacité, en adaptant son comportement aux buts visés
  • vivre des expériences, en goûtant à la vie des “Autres”
  • développer son empathie et sa compréhension en adoptant d’autres points de vue (pour arrêter de juger bêtement)
  • accroître son savoir, en s’offrant un accès privilégié à la connaissance de soi, du monde et des autres
  • prédire son futur, en découvrant ce par quoi d’autres personnes sont déjà passées
  • révéler ses talents, dévoiler des aspects refoulés de sa personnalité et les laisser exprimer des choses qu’on n’arrive pas à mettre en mots “soi-même”

Les artistes semblent particulièrement friands des possibilités créatives offertes par cette faculté de partitionner sa personnalité et se fondre dans l’un ou l’autre de ses alters. Ils revendiquent leur droit à laisser libre cours à toutes les facettes de leur personnage en se réfugiant derrière des masques qu’ils “vendent” sous leur nom propre. Souvenez-vous du Slim Shady, l’aspect sombre qu’Eminem proposait au public alors que les sentiments les plus violents l’envahissaient. Chez les divertisseurs grand public, la tendance au “jeu de rôles” est répandue, de Beyoncé à Sacha Baron Cohen en passant par les Beatles.

Et quand ils n’exploitent pas eux-mêmes le clivage de leur personnalité, les acteurs le mettent en scène pour jauger leur talent de comédien. Certaines des prestations cinématographiques les plus mémorables incluent ainsi des exercices délirants de fragmentation de l’âme (splitting), que ce soit chez les humains ou les non-humains : voyez donc les effets du traumatisme du Gobelin…


De quoi vous rendre vert

… et de la folie du Gollum (“Je n’étais qu’un Gollum et tes yeux m’ont vu”) :


Si ça c’est pas du splitting

La fiction n’a pas négligé le sujet, qui se plaît à représenter des personnages assumant avec plus ou moins de fierté leur multiplicité. Les histoires de superhéros et de (super)méchants abusent du ressort du trouble de l’identité ; rares sont les ennemis de Batman qui n’en sont pas affectés – ce qui tombe bien, puisque Bruce Wayne l’est aussi. Et combien de criminels, combien de serial killers ont-ils été si difficiles à démasquer au commun des enquêteurs – mais pas à notre brillant profiler / mentaliste / Belge à moustache – parce qu’ils pouvaient montrer différents visages, dont le plus affreux ne se révélait que dans des circonstances exceptionnelles ?

Lorsqu’on choisit de se démultiplier, il convient donc, évidemment, de conserver une certaine forme de contrôle sur ce que l’on fait. Ce n’est pas le moment de vivre la totalité des fantasmes que votre personne sociale a refoulés, surtout si certains impliquent des crimes de sang, des sacrifices rituels ou des petits garçons tout nus. Néanmoins, si vous dressez bien vos différents avatars, si vous façonnez leur comportement en fonction de leurs talents et de ce qu’ils peuvent vous apporter (ou de ce dont ils peuvent vous soulager), et si vous leur laissez une certaine marge de manœuvre tout en les tenant en laisse, vous pourrez être rétribué par une flexibilité tout à fait bienvenue, c’est-à-dire une capacité accrue à déployer les ressources les plus appropriées pour évoluer dans votre environnement.

Dès lors, nous vous recommandons le recours aux alters pour muscler votre caractère, sous réserve de parvenir à garder votre santé mentale, de savoir ce que vous faites et dans quel contexte vous le faites.

Car les cas extrêmes de fragmentation ne sont pas qu’un sujet de fiction.

2. Intervention psychologique

Les cas cliniques illustrent les dérives d’une scission mal contrôlée, lorsque différentes personnalités ne se parlent pas, ne communiquent plus, s’ignorent. On parle de dissociation pour désigner cette désagrégation de la psyché, qui se traduit par un manque de congruence des propos ou des attitudes.

Normalement, le fonctionnement des différents appareils psychiques est coordonné : ils s’organisent harmonieusement et s’échangent des informations pour assurer une présence au monde congruente (cohérente). En cas de dissociation, il y a séparation des fonctions normalement intégrées (mémoire, conscience, identité), c’est-à-dire des éléments psychiques ou mentaux qui devraient être unis et communiquer.

La scission provient généralement d’un dérèglement émotionnel et se traduit par un écroulement de l’intégrité de l’ego (la représentation que l’on a de soi et de sa conscience). Concrètement, la victime ne parvient plus à recadrer ses perceptions en fonction de la réalité des évènements extérieurs, ce qui lui permettrait d’agir avec raison. La dissociation lui offre le moyen de faire face à une situation traumatisante qu’elle ne parvient pas à gérer rationnellement.

Dénonçons ici un amalgame : schizophrénies et personnalités multiples ne sont pas synonymes. Dans une schizophrénie, il y a fragmentation d’avec le réel : le schizophrène n’est plus dans « le » monde mais dans « son » monde ; il voit ou sent des choses dans une zone psychique inaccessible à sa raison (il est par exemple victime d’hallucinations).

Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou DSM) identifie plusieurs types de trouble dissociatif différant ainsi de la schizophrénie. Publié par l’Association américaine de psychiatrie (APA), le DSM classifie les critères diagnostiques de plusieurs centaines de troubles mentaux. Dans son édition de 1994 (DSM-IV), le manuel de référence recense notamment parmi les troubles dissociatifs :

Dracula aux Dents Courtes vs. le Scotch

Batman nous a accoutumés au dédoublement de personnalité ; le sujet souffrant d’un multiple personality disorder, pourtant, peut abriter bien plus de deux personnalités. Une « personne multiple » est un système composé de plusieurs personnalités ou identités qui partagent un même corps, ainsi que les fonctions et expériences associées. Si l’on parlait auparavant de trouble de la personnalité multiple, la dénomination a été remplacée par celle de trouble dissociatif de l’identité (TDI) dans le DSM-IV pour renforcer l’idée que c’est une identité unique qui est scindée en plusieurs personnalités, et non des entités discrètes et autonomes qui cohabitent (il y avait eu de l’abus, certains criminels n’hésitant pas à mettre leurs méfaits sur le dos d’une de leurs personnalités dont ils ne se sentaient pas responsables, ce qui a pu leur éviter la prison, ou non). Les critères diagnostiques associés au TDI sont les suivants :

A. Présence de deux ou plusieurs identités ou “états de personnalité” distincts (chacun ayant ses modalités constantes et particulières de perception, de pensée et de relation concernant l’environnement et soi-même).

B. Au moins deux de ces identités ou “états de personnalité” prennent tour à tour le contrôle du comportement du sujet.

C. Incapacité à évoquer des souvenirs personnels importants, trop marquée pour s’expliquer par une simple mauvaise mémoire.

D. La perturbation n’est pas due aux effets d’une substance ou d’une affection médicale générale. N.B. Chez l’enfant, les symptômes ne peuvent pas être attribués à des jeux d’imagination ou à l’évocation de camarades imaginaires.

Comment notre psyché peut-elle en arriver à abriter plusieurs colocataires ? Ce qui peut être dissocié, ce sont des fonctions (les « 5 sens »), des perceptions, des souvenirs, des émotions, des idées, des représentations, des cognitions (pensées automatiques)… Suivant l’état de personnalité dans laquelle il est, le sujet est capable ou non de considérer ces éléments comme siens ; par exemple, l’une de ses personnalités se croit devenue aveugle, alors que l’appareil organique associé (depuis l’œil jusqu’au cerveau) est physiquement intact.


Au royaume des aveugles, ceux qui y voient encore parfaitement, en fait, sont empereurs (et pas manchots)

Si la situation s’aggrave, les fonctions dissociées peuvent s’organiser elles-mêmes en une ou plusieurs autres personnalités. A mesure que la personnalité principale s’en défait, ces compétences se répartissent entre les différentes personnalités par un système de vases communicants. A terme, chaque personnalité aura conscience de son existence et pourra s’exprimer en disant « moi » et « je ».

Qu’est-ce que le trouble de personnalité multiple (TPM) ? C’est un éclatement du moi tellement intense que la personnalité apparaît comme cassée en morceaux à l’intérieur d’un même corps. […] La multiplicité peut aller de deux personnalités à plusieurs dizaines, et parfois même centaines, appelées les « alters », comme dans le cas de Sheri Storm. La personnalité principale est la « personnalité hôte » ou « d’accueil ». Elle est le plus souvent introvertie et dépressive. Les alters peuvent être d’âge, de caractère, de sexe, voire d’espèces différentes, tel le canard chez Nadean Cool. Ils sont souvent incarnés par le « protecteur » sociable et détaché, le « cultivé », calme et logique, le « créatif », artiste ou intellectuel doué, le « parent punitif », rigide et puritain, deux sortes d’enfants en bas âge, l’un vulnérable et traumatisé, l’autre colérique et capricieux, et très souvent le « révolté », aux comportements violents ou criminels. Le patient peut ainsi devenir, successivement, un enfant avec un comportement et une voix d’enfant, une femme alors qu’il est un homme… Certains alters peuvent être boulimiques, alors que d’autres sont anorexiques, ils peuvent ne pas tous parler la même langue, les uns ont besoin de lunettes et les autres, non, l’un est alcoolique, l’autre est toxicomane… Lorsque le patient fait le récit de sa vie au thérapeute, celui-ci remarque que la trame narrative n’est pas complète, qu’il a des « périodes de temps perdu », qu’il hésite sur la datation des événements, ou confond différents épisodes de sa vie. Le thérapeute peut émettre alors l’hypothèse que des alters ont pris peu à peu le contrôle de sa vie, et que la personnalité hôte n’en a pas été informée.

Brigitte Axelrad, dossier Faux souvenirs et personnalité multiple publié en novembre 2009 par l’Observatoire zététique

La cause des TDI est à rechercher dans les traumatismes vécus par les patients, notamment dans leur enfance. Il faut savoir qu’on ne naît pas avec une personnalité unifiée ; ce sont nos expériences qui nous permettent de construire notre personnalité progressivement à mesure que l’on acquiert de nouvelles compétences et qu’on les rattache à un « moi » de plus en plus affirmé. Si des expériences douloureuses (abus sexuels, violences, etc.) perturbent son développement, l’enfant peut manquer d’incorporer à une personnalité unifiée tout ce qui devrait l’être. Et le trauma qu’il aura refoulé pour s’en protéger risque de resurgir dans l’une ou l’autre de ses personnalités.

Cependant, tous les problèmes ne sont pas à mettre sur le dos de chocs émotionnels subis dans notre prime jeunesse. Tous les TDI non plus. Or, là aussi, il y a eu de l’abus. Alors que le trouble de la personnalité multiple était extrêmement peu connu jusqu’alors, les Etats-Unis ont connu une explosion du nombre de diagnostics de TPM dans les années 70-80. D’après Brigitte Axelrad, en 20 ans, le nombre de cas rapportés passa d’à peine 50 à plus de 40 000 !

Des psychothérapeutes peu scrupuleux sont accusés d’avoir exercé une telle influence sur leurs patients que ces derniers en vinrent à créer de toutes pièces des souvenirs de traumatismes d’enfance (ou de sacrifices rituels, ou d’enlèvement par des extra-terrestres !). Se conformant aux attentes implicites de leur thérapeute, les patients à la mémoire “retrouvée” finissaient par exhiber des symptômes associés au TPM.  De nombreux articles ont été écrits au sujet des origines douteuses d’une telle épidémie ; plutôt que de revenir en détail sur le vaste sujet des faux souvenirs, retenons cette conclusion : si l’existence du TDI est avérée, il semble que le nombre de cas réels soit extrêmement faible, la plupart des diagnostics ayant résulté de manipulations induites par la nature même du travail thérapeutique.

Précisément, quelle est la prégnance de cette maladie dans nos sociétés modernes ? Dans quelle mesure chacun de nous fonctionne-t-il comme un système de personnalités multiples ? Sommes-nous tous des malades en puissance ?

3. Jeux de rôle en société

A mode de vie fragmenté, esprit fragmenté. A l’heure du web 2.0 et du foisonnement des réseaux sociaux, exister sur la Toile implique de savoir gérer un certain nombre d’identités. Sur internet plus qu’ailleurs, du fait de la généralisation de l’anonymat (au sens de “secret de son identité civile réelle”), on se rend compte à quel point il est possible de modeler notre “profil”, cette image que l’on construit de soi-même pour les autres, afin qu’il s’adapte plus spécifiquement à l’application envisagée.

Mes futurs employeurs de PowerPipo Consulting n’ont pas besoin de savoir ce que je raconte aux frères d’armes velus de ma guilde de guerriers taurens, qui eux n’ont pas à connaître ce que je mets en avant pour attirer mes futures conquêtes sur VaPéchoTaCougar.com. Qui elles n’ont pas à voir les dernières photos de la soirée chez Bébert que j’avais terminée, quelle qu’en soit la raison, complètement nu, la tête dans les toilettes, avec un tatouage de marin sur la fesse droite (comme en attestent mes photos Face de bouc). Le Bébert en question n’ayant lui-même pas à savoir que sa femme, consultante marketing chez Pipo Consulting, passe son temps au bureau à s’affirmer comme une redoutable chasseresse de jeunes bellâtres taurens sur VaPéchoTaCougar.com.

(A ce titre, la convergence et l’interopérabilité des réseaux sociaux encouragent des réflexions sur le décloisonnement d’identités qui gagnaient pourtant à ne pas être mélangées, mais ce n’est pas le débat du jour.)

Utile pour surveiller ce qui se passe à 360°, mais on n'imagine pas le temps passé à se raser tous les matins

Ces identités multiples que nous créons et maintenons sur le Net en fonction de l’application visée sont un écho de la fragmentation d’identité à laquelle nous oblige la vie en société. Il n’aura pas fallu attendre l’invention d’internet pour être plusieurs personnes ! A la sphère professionnelle, festival de cravates et de pauses “langue de vipère” autour de la machine à café, nous opposons notre cercle privé et familial, temple des pantoufles et du triptyque pizza-bière-foot. La responsable RH est aussi la femme de son mari et la mère de ses enfants ; dans la même journée, elle enchaîne le recrutement de 3 stagiaires surdiplômés, la préparation des vacances de Noël aux Seychelles et le changement des couches du petit dernier.

Suivant le contexte social, nous jouons des rôles très différents.

D’un point de vue macroéconomique, dans nos échanges monétaires quotidiens, nous sommes tour à tour ménages, salariés, consommateurs, épargnants, citoyens soumis à l’impôt… Nos interactions, nos transactions, sont l’occasion de prendre une multitude de rôles, chacun requérant de notre part que nous sachions nous positionner sur un ensemble mouvant de questions. D’où de fréquentes contradictions, devant la difficulté de prendre suffisamment de recul sur ses différents intérêts pour aboutir à des positions stables, cohérentes et bien tranchées, répondant à l’avance à la totalité des sujets de débat qui pourraient nous être imposés.

Suis-je pour ou contre telle nouvelle taxe censée financer des projets environnementaux ? Au sein de mon association de défense de l’environnement, je la défends. En tant que consommateur, elle me prive d’une partie de mon pouvoir d’achat. Dans chacun de ces contextes particuliers, je “sais” ce qui est “bon” pour moi. Lorsque je réalise la fusion de tous mes “moi”, et que je dois apporter une réponse définitive qui engage mon nom, je ne sais plus rien du tout. Notre vie nous pousse à garder en tête la multitude des personnes que nous sommes, c’est-à-dire la multitude de nos motivations et de nos moyens d’action.

Croyez-moi, celui-là, je vais lui passer un de ces savons !

Dans le Fight Club de Chuck Palahniuk, la cause est entendue : les contradictions auxquelles nous contraint la société de consommation sont telles que la seule façon de les surmonter et de parvenir à l’équilibre psychologique réside dans la construction de personnalités multiples par la dissociation. (D’ailleurs, la contradiction est inévitable, regardez : en parlant du Fight Club, nous n’avons même pas réussi à respecter la première règle du Fight Club…)

Conclusion : croissez et multipliez

C’est évidemment par défaut que nous vous suggérons l’idée de former des alter ego. Idéalement, nous souhaiterions être assurés de parvenir à la fusion des “moi”, à la cohérence et l’unité d’action et de comportement. Nous voudrions croire qu’il nous est possible d’être intégré et libre, pleinement conscient de tous nos actes, et tout à fait capable de libérer notre créativité suivant nos désirs.

Mais face à la multiplication des rôles, des profils et des identités à laquelle nous astreint la vie en société, nous envisageons la multiplication des “personnalités” comme un remède utile et efficace.

Tout dépend, bien sûr, de ce que l’on met précisément derrière cette notion de personnalité. Le terme n’est peut-être pas le meilleur, tout chargé qu’il est déjà de connotations. Devrions-nous plutôt parler d’identité, de rôle, de mentalité ? Car il ne s’agit pas de dissocier, au sens où pourrait le faire un patient atteint d’un TDI. Plutôt que de se doter de personnalités disjointes, incapables de communiquer entre elles, l’enjeu est de garder le contrôle de soi en restant conscient et responsable de chacun de nos avatars.

C’est à ce prix, par la mise en adéquation de nos ressources et de nos objectifs, que nous pourrons prétendre à la flexibilité et l’efficacité. Chaque personnalité aura son rôle à jouer, ses intérêts et ses modes d’action. En comprenant bien qui nous sommes à chaque instant, nous saisirons mieux nos motivations, nos capacités, et la valeur à accorder à nos résultats.

Identité, personnalité, rôle, profil, statut, mentalité, tempérament, caractère… La prochaine fois, nous préciserons davantage nos définitions, avant d’aborder frontalement la question implicite : l’individualité n’est-elle qu’une illusion ?

Pour aller plus loin :

  • Un excellent dossier sur les personnalités multiples : documenté, approfondi, clair et accessible, il compile utilement des informations recueillies auprès de sources en langue anglaise ou allemande (partant du principe qu’on ne trouve pas grand-chose sur le sujet en français)
  • Au sujet du syndrome des faux souvenirs induits, les dossiers de Brigitte Axelrad, figure de la zététique et du scepticisme contemporain : origines (version longue ou courte), formes et lien avec les personnalités multiples

[Mise à jour : le 20/12/11, après relecture par un camarade psychologue, certains termes ont été remplacés par leur équivalent “officiel”. En clair, il y a eu du nettoyage dans l’emploi des termes lourdement connotés (identité, personnalité, rôle…). La logique de l’argumentation reste inchangée, mais ceux qui sont attachés au respect des définitions communément partagées y gagnent assurément]

Auteurs : et

Tags : , , , , , , , ,

Les commentaires sont clos.