15 Sep 2012

On n’apprend pas au vieux sage que les énigmes se classent

Publié à 22h45 par sous Psychologie, Sorties et divertissement

Pour nous remettre (mollement) dans un rythme de travail post-estival, nous allons nous intéresser aux énigmes, devinettes et casse-tête dont raffolent les esprits alertes. Non seulement les suites “logiques” ne nous paraissent pas toujours logiques, mais nous nous sommes souvent sentis désemparés face à certaines énigmes, soit qu’on ignorait par quel bout les prendre (a priori), soit que la solution officielle, bâtarde, nous donnait l’impression d’avoir été roulés (a posteriori). Pouvons-nous classer les énigmes d’une façon qui annonce à l’avance leur nature et limite notre frustration de chercheur de solution ?

Pour passer le temps, Papy Fouras ne va pas vous donner la clé du problème

1. De la “nourriture pour réflexion”, disent les Grands-Bretons

Au moment de rédiger notre article sur les suites “logiques”, nous avions épluché le contenu d’un sympathique blog, celui du psychologue anglais Richard Wiseman (voir sa page Wikipedia, plus subtile que l’auto-promotion passablement vaniteuse composant sa biographie personnelle). Prestidigitateur et sceptique, le personnage a de quoi nous plaire : fier déboulonneur de phénomènes paranormaux, le chauve à lunettes entend mettre sa science au service d’une éducation populaire à la psychologie.

Ses livres grand public – volontiers rangés dans la catégorie du “développement personnel” – s’intéressent notamment à la multitude des petits changements que l’on peut apporter à sa vie (ses travaux ont largement alimenté notre article sur les bonnes résolutions de Nouvel an). Lui-même intervient comme orateur dans le cadre de nombreux évènements, et joue le rôle de consultant auprès d’un magicien comme Derren Brown ! Quant à son blog, il a fait le choix d’un format facile d’accès, à base de billets courts et fréquents se résumant presque uniquement à la publication d’images et de vidéos cocasses ou étonnantes glanés sur internet (ou plus probablement directement envoyées par ses admirateurs, au vu de la notoriété du bonhomme – plus de 100 000 followers sur Twitter !).

Est-ce à dire que ce site-inventaire de mini-trouvailles, qui offre toujours de quoi s’aérer l’esprit au cours d’une morne journée de labeur, procède d’une redoutable stratégie marketing ? Sa légèreté est-elle un prétexte pour attirer le lecteur en quête de frivolité et l’assommer de références aux ouvrages du maître des lieux ? Il y a presque lieu de le croire. Interagissant peu avec les commentateurs de son blog, l’auteur se plaît à souligner ses succès, ne manquant jamais une occasion de mettre en avant son travail ou son œuvre.

Surtout, ses titres d’article recyclent sans vergogne des formules-chocs exagérément commerciales, genre “best [something] ever?”“give me X minutes/seconds of your time & I will amaze you / make you gasp”, etc. Sans doute y gagne-t-il en lectorat ou en nombre de places dans les classements des moteurs de recherche, néanmoins cette répétition incessante de trucs de marchands de tapis numériques se révèle fort agaçante, à la longue – d’ailleurs, même le contenu des articles tend à réapparaître régulièrement !

Dans la famille des sceptiques chauves, je demande...

Ceci dit, la régularité des publications est évidemment à louer, et le blog de Richard Wiseman représente au final une formidable mine à illusions d’optique et paréidolies, un véritable trésor d’expériences singulières, d’œuvres d’art déconcertantes et même de tours de magie épatants… Les plus positifs d’entre nous diront donc qu’on y apprend beaucoup, tout en s’amusant bien !

Au premier rang des éléments propres à stimuler nos cellules grises : les énigmes du vendredi (“It’s the Friday Puzzle!”). Et ce sont bien ces devinettes recensées par notre charmant Wiseman qui ont constitué le matériau de base pour l’étude qui suit.

2. Une grille d’analyse des énigmes

Les énigmes nous plaisent, parce qu’en provoquant notre ego, elles nous poussent invariablement à consentir à des efforts intellectuels dont nous sommes peu coutumiers. Pourtant, nous avons souvent été déçus par les réponses qui nous étaient apportées après que nous avions donné notre langue au chat. Nous découvrions qu’il fallait mobiliser des éléments complètement étrangers à l’univers initial de l’histoire, ou alors que la devinette n’était somme toute qu’une vaste blague.

Bref, nous avions cherché dans une voie sérieuse ou “logique” alors que la solution tenait à une explication bouffonne, grotesque ou tirée par les cheveux. D’autres fois, au contraire, nos propres réponses comiques étaient rejetées d’un revers de main : dans ces cas-là, le sérieux était de mise, car une réponse intelligente était attendue. (Et nous évoquerons à peine ces cas terribles où nous nous sommes vus contraints de contester la solution officielle – cf. ces fameuses suites “logiques”, dont nous vous avons déjà dit tout le mal que nous pensions !)

D’où l’on tire le bilan : en général, le créateur d’une énigme conçoit lui-même une réponse officielle à son problème ; seule cette réponse est jugée apte à résoudre l’énigme – les autres propositions ne sauraient décemment revêtir le titre de “solution”. Dès lors, résoudre une énigme implique de trouver la réponse officielle qui en est attendue, ce qui implique nécessairement de se mettre dans l’état d’esprit de son créateur. Mais comment savoir à l’avance à quel type d’énigme nous avons affaire ?

Œdipe prétend vouloir lui chatouiller la réflexion

Aucune des classifications dénichées sur internet ne nous a paru tout à fait satisfaisante ; les sites répertoriant des énigmes nous semblent proposer des typologies confuses mélangeant des points de vue différents. C’est pour tenter de mettre de l’ordre entre ces points de vue possibles, et dans l’espoir d’aboutir à des critères permettant de bien appréhender une énigme (c’est-à-dire d’être directement placé sur une bonne voie de recherche), que nous avons construit une grille d’analyse reposant sur les attributs ci-dessous :

  • Format : catégorie d’énigme “homologuée”, c’est-à-dire bien connue, en fonction de la forme de l’énoncé. Par exemple : devinette (énoncé de la forme “quel est […] ?” ou “je suis […] ; qui suis-je ?”), suite “logique” (séquence de nombres, de mots ou de formes à compléter), problème (énoncé complexe, de mathématique, etc.)
  • Domaine : ce sur quoi porte l’énigme ET/OU ce avec quoi il faut jouer pour la résoudre. Avons-nous affaire à un problème de chiffres ou de lettres ? S’agit-il de bidouiller avec le langage (les mots), des nombres (combinatoire, probabilités, équations…), des formes (géométrie) ou bien des allumettes ? Attention, car la forme de l’énoncé peut être choisie de manière à nous induire en erreur : une énigme ayant l’apparence d’un problème mathématique n’est parfois qu’un attrape-nigaud aisément résolu si l’on s’attarde sur les mots exacts employés dans l’énoncé !
  • Mode de résolution : logique (rationnel) ou créatif (latéral, intuitif). La distinction n’est pas toujours évidente à établir en pratique, car il faudrait pénétrer le fonctionnement du cerveau. Notre vision, c’est qu’un mode de réflexion rationnel est utilisé lorsque nous employons – consciemment – une méthode de résolution algorithmique, notamment à base de “si […] alors”. Le processus est séquentiel ou incrémental. A l’inverse, on attaque un problème de façon créative lorsqu’on “sort de la boîte”, qu’on mobilise des mécanismes de pensée latérale, qu’on raisonne par association d’idée. On déclenche des tempêtes sous crâne, on tâtonne, on divague, on croit à la chance et aux vertus de la sérendipité. L’illumination s’impose souvent sous la forme d’une idée “émergente” ne découlant pas directement de la logique apparente de la question posée.
  • Risque de fourvoiement : mesure dans laquelle l’énigme peut amener le chercheur à s’enfoncer dans une ou plusieurs fausses pistes. Derrière ce nom barbare (on cherche encore quelque chose de plus délicat, et vos contributions seront appréciées !) se cache une caractéristique difficile à objectiver, et passablement contestable. D’une manière générale, le critère traduit la possibilité pour celui qui tente de résoudre une énigme d’être leurré et de partir dans une mauvaise direction de recherche parce qu’il raisonne sur la base d’hypothèses inexactes. Ses suppositions erronées auront été plus ou moins volontairement provoquées par le créateur de l’énigme à cause de sa manière de formuler l’énoncé. Souvent, il y a volonté de tromperie de la part du créateur de l’énigme ; il abuse de notre confiance et souhaite nous piéger – ce qui est donc bien difficile à accepter pour notre ego si la réponse officielle elle-même n’est pas entièrement exempte de reproche ! Dans tous les cas, ce sont nos interprétations-réflexes qui sont à blâmer (“l’histoire parle de la lune, c’est donc que la scène doit avoir lieu de nuit”), une compréhension trop synthétique (on ne fait pas attention aux détails), des intuitions scientifiques incorrectes (en particulier dans le domaine des probabilités, cf. le paradoxe des anniversaires) ou carrément de mauvaises déductions (on nous annonce que le niveau de la mer monte, et on oublie que les bateaux qui flottent à sa surface doivent nécessairement s’élever eux aussi…).

C’est cette grille d’analyse que nous avons appliquée à toute une sélection d’énigmes du vendredi de Richard Wiseman (travail toujours en cours). Nous sommes remontés à l’énigme 102, publiée il y a tout juste un an et demi (le 11 mars 2011), à partir de laquelle l’auteur a commencé à donner systématiquement une réponse officielle le lundi suivant (sur la page du billet de blog, il vous suffit donc de cliquer sur le lien vers le billet suivant – “Answer to the Friday Puzzle”). Et si vraiment ça vous embête de commencer au numéro 102, rassurez-vous, l’ “homme sage” a posté 101 énigmes ici – mais il vous faudra chercher les réponses ailleurs 😉 !


Vous pouvez venir consulter cette grille directement ICI

3. De l’intérêt de classer les énigmes

A quoi ça sert, une telle classification ?

  • A vous divertir ! A vous aider à choisir une énigme correspondant à ce que vous recherchez. Avec une bonne liste, accompagnée d’une bonne signalétique, vous n’avez qu’à puiser directement en fonction de votre humeur.
  • A lancer la discussion. Car nous sommes bien conscients que des aspects de la notation sont contestables. Et puis on peut pousser encore plus loin la recherche de critères.
  • A voir s’il existe une corrélation entre les énigmes faisant appel à la pensée latérale et les énigmes que nous apprécions tout particulièrement. Oui, parce qu’on vous a aussi rajouté une colonne “coup de cœur”, histoire d’attirer votre attention sur les problèmes qu’on a trouvés particulièrement bien troussées, raffinés ou intéressants.

D’avance, nous tenons à souligner que nous comprenons parfaitement les critiques de ceux qui estiment que dévoiler à l’avance la nature d’une énigme, c’est passer à côté de l’un de ses intérêts principaux : permettre à nos petites cellules grises de fonctionner à plein régime en testant toutes sortes d’hypothèses jusqu’à déterminer à quel type de problème on a affaire, et comment le résoudre.

Si nous considérons qu’on ne doit pas être guidé dans la résolution d’une énigme, même par une simple signalétique indiquant la nature du problème en jeu, une autre question se pose alors, certes passionnante, mais autrement plus compliquée : est-il possible de concevoir une batterie de tests et de vérifications uniques permettant d’établir le type d’une énigme qui nous est présentée ? Est-il possible de systématiser la détermination a priori des problèmes rencontrés ?

Nous avons de sacrés doutes sur la question, parce qu’il nous semble que c’est souvent le fait de tester une piste – et résoudre l’énigme du même coup – qui permet de conclure si tester cette piste-là était légitime ou non… Le sujet des processus cognitifs en jeu dépasse malheureusement les connaissances de nos auteurs !

Enfin, une autre question demeure, dans tous les cas : une fois connu le type d’une énigme, quelles méthodes ou techniques systématiques peuvent-elles être utilisées pour la résoudre ?

Qu’en pensez-vous ? Vous-mêmes, quelle est votre démarche de résolution ?


Passer le pont, c’est pas la mort

Pour aller plus loin, d’autres sites à énigmes :

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